Gentrification et paupérisation au coeur de l’Île-de-France

L'Institut Paris Region

Aménagement urbain, Habitat – logement, Sciences humaines

juin 2019

La question sociale et son intrication avec la dimension spatiale a fortement ressurgi avec le mouvement des gilets jaunes. Beaucoup d’encre a coulé pour en décrypter les tenants et aboutissements possibles.
Côté social, la hausse continue des dépenses contraintes (logement, remboursement d’emprunt, charges, transports, …) – dont le prix du gasoil n’est qu’un détonateur – le sentiment d’injustice fiscale, et l’absence de perspective pour nombre de ménages ont alimenté la révolte. Elle s’inscrit sur un fond de peur du déclassement des classes moyennes mise en avant de longue date par les travaux de Maurin et Goux, ou ceux de Chauvel, et d’un déterminisme social encore fortement ancré en France. Comme l’ont montré les travaux de France Stratégie et ceux de l’IAU et de l’Insee sur l’Île-de-France, un enfant d’ouvrier a très peu de change de monter dans la hiérarchie sociale. Pierre Rosenvallon note, en effet, que « ce n’est pas la société des exclus, des chômeurs, des Rmistes qui est dans la rue et qui occupe les ronds-points …. c’est la société des petits qui s’exprime, celle du salariat modeste, des petites classes moyennes, des autoentrepreneurs, petits commerçants ou artisans, qui bat le pavé… ». Parmi les participants, quelques retraités côtoient les salariés.
La dimension territoriale a aussi été largement mise en avant, et souvent de façon caricaturale, opposant deux France, celle des métropoles qui « gagnent » et celle de la périphérie qui « perd », sans considérer l’hétérogénéité de ces dits territoires et la diversité des espaces qui les constituent. La hausse du coût du carburant touche avant tout ceux qui doivent utiliser leur voiture pour aller travailler ou se déplacer au quotidien. Ils résident, pour la plupart, dans des territoires où les transports en commun sont peau de chagrin et notamment les couronnes périurbaines éloignées de pôles d’emploi. Les travaux de l’IAU ont quantifié l’impact de l’éloignement du centre de la région sur le recours à la voiture : dans les espaces mal desservis situés hors de l’agglomération de Paris, 86 % des actifs utilisent leur voiture, pour seulement un quart dans l’hyper-centre (Paris et quelques communes limitrophes). Cette dépendance automobile résulte pour partie des politiques urbaines mises en place dans les années 70, favorisées par l’État à travers ses dispositifs d’aide à l’accession à la propriété. Divers observateurs ont toutefois noté la stabilité du poids des dépenses liées à l’essence depuis 1990, au contraire de celle des logements en forte hausse notamment en Île-de-France d’où est d’ailleurs parti le mouvement des gilets jaunes, pointant un autre enjeu : celui des captifs des transports en commun qui ne peuvent accéder à un emploi stable faute de détenir une voiture.
Cette étude sur la géographie sociale en Île-de-France et son évolution depuis le début des années 2000 contribue à sortir de ces oppositions frontales et globalisantes « métropole » versus « espace périphérique ou rural ». Elle donne à voir la structuration sociale du territoire francilien en partant de l’échelle communale, voire du quartier (iris) et souligne la lente évolution de ce paysage social. La région est un espace systémique où le devenir de chaque territoire est en prise à un jeu de forces qui tend à une polarisation des espaces les plus aisés et les plus pauvres.

Année de parution : 2019

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